De la rédaction des personnages

Par Frédou

On peut concevoir et organiser un scénario sans rédiger formellement une description du contenu ou de l’enchaînement précis des événementiels. Il est également possible de se passer de tout document de jeu. Quant aux instructions écrites concernant l’organisation, elles ne sont nécessaires que pour transmettre le scénario à d’autres. Mais il y a quelque chose dont la rédaction est toujours indispensable : « les fiches de personnages. »

Écrire un scénario de GN ou de Murder Party revient en grande partie à concevoir et rédiger des personnages. Il y a de nombreuses approches possibles et façons de faire. Certaines sont pourtant plus heureuses que d’autres, et ce choix n’est pas sans incidences.

La fiche de personnage est le premier contact du joueur avec le jeu. Reçue, généralement, bien avant le commencement du jeu, elle est l’élément moteur de la motivation du joueur. Un personnage déçoit et tout s’écroule. Un personnage passionne et le joueur, bouillonnant, se dépassera. C’est très souvent le personnage qui a rendu les jeux que j’ai le plus apprécié vraiment exceptionnels et inoubliables.

Pour accrocher l’intérêt du joueur, il faut bien sûr un bon contenu, le fond. Mais la forme a également beaucoup d’importance. Plus la lecture est agréable, plus le récit sera vivant, plus le lecteur sera happé dés sa première lecture par le contexte du jeu. Ce petit article se propose de donner quelques pistes concernant la forme.

Du personnage « fiche d’état civil »

C’est l’approche la plus courante dans les scénarii vite faits ou chez les débutants. Cela consiste à décrire le personnage à travers un ensemble de sections indépendantes. On y trouvera généralement « l’état civil » (nom, age, sexe, profession…), « le passé » (parfois décomposé en plusieurs sections du style « passé lointain », « événements récents ») , « le caractère », « le costume », « les infos sur les autres personnages », « les objectifs », « les instructions de roleplay »…

Cette approche a le gros avantage de résoudre assez vite le syndrome de la feuille blanche. Le perso étant bien découpé, on peut remplir les sections une à une, au gré de l’inspiration. Elle permet également de naviguer lors de l’écriture d’un personnage à l’autre, facilement, remplissant section par section sans besoin d’écrire dans la continuité d’un contexte. Parce qu’elle structure l’ensemble des informations à fournir, c’est aussi l’approche la plus simple pour le complet débutant. Mais les écueils sont très nombreux.
Tout d’abord, cette approche est extrêmement froide. Le personnage est réduit à l’état de viande morte, découpée en tranches exhibées aux quatre vents. Le lecteur se voit contraint de l’imaginer, d’extrapoler ce que peut être le personnage à travers ce découpage de descriptions. Il est certes entièrement décrit mais façon puzzle, et il faut assembler les pièces dans sa tête pour deviner le tableau.

Ensuite, cette approche pose de gros soucis de cohérence. Construire des sections indépendantes les amène très souvent à se contredire. C’est par exemple un personnage avec une histoire extrêmement lourde, triste, mélancolique et qui serait décrit dans sa section caractère comme étant jovial et bon vivant (Ne rigolez pas, c’est du déjà-vu). C’est un personnage qui a toujours eu de bonne relation avec un autre dans son histoire passé et qui se méfie clairement de lui dans la section « ce que je sais sur… ». C’est un objectif qui arrive comme un cheveu sur la soupe alors que rien dans le passé du personnage ne laisse présager une telle intention, ou un objectif qui ne semble pas découler logiquement, etc. Les pièges sont multiples. Ce style d’erreur n’est pas toujours facile à éviter. Parce que le personnage est conçu découpé, il n’est parfois pas un tout cohérent même dans la tête du scénariste.

Enfin, cette approche fige le personnage en le décrivant à l’état initial du jeu plutôt qu’en le montrant tout au long de son passé. Si un personnage est jovial et bon vivant, il ne l’aura peut être pas toujours été. Son caractère a pu être influencé par certains événements, a pu varier subtilement au cours du temps. Or, le joueur a besoin pour jouer et vivre pleinement son personnage d’extrapoler la façon dont il réagira face à un nouvel événement au cours du jeu. Avec une telle approche, c’est plus difficile. Ce découpage est figé et brise en quelques sortes la relation qu’il y a entre chaque information et le vécu du perso.

Du personnage romancé

C’est clairement l’approche la plus satisfaisante mais fatalement la plus complexe. Ici, point de section et de découpage, le personnage n’est jamais décrit sous la forme d’énumération d’informations, il est raconté avec les outils du roman. Une fiche d’état civil dirait du caractère de Cyrano qu’il est « pugnace et pétulant, qu’il parle haut et fort ». Dans un background romancé, on se concentrera sur la narration du passé du personnage comme les événements de l’hôtel de Bourgogne pour témoigner, à travers ses actes, de la fougue et du tempérament de Monsieur de Bergerac. C’est uniquement l’histoire du personnage par sa narration qui faire ressortir ce qu’il est, ses pensées, sa personnalité, son apparence, ce qu’il pense des autres, ses intentions, etc.

Cette approche est plus complexe car elle demande de mettre en place une véritable construction romanesque et d’y placer tout ce qui est nécessaire pour le jeu (et/ou l’inverse). Les paragraphes ne s’enchaînent pas de façon décousue et froide mais avec une grande cohérence narrative et un rythme précis. Le vécu du personnage n’est plus une accumulation neutre d’événements, il est dépeint avec toute la palette de couleur du roman pour retranscrire à tout moment la chaleur du personnage.

Si cette approche est plus lourde, elle évite bien des écueils précédents. Parce qu’il n’y a pas de redondance ou de recouvrement, il n’y a plus d’incohérence possible d’une section à une autre. Mais surtout écrire de façon romancée contraint à justifier toutes les actions et les pensées du personnage, à les enchaîner de manière crédible. S’il se met à agir de façon contradictoire, cela saute aux yeux immédiatement. Si le récit est crédible alors le personnage le devient également.

Un perso évolue au cours de la narration. Il peut penser quelque chose, avoir un certain caractère, certaines intentions à un instant T de sa vie et puis changer progressivement ou subitement par la force des événements. La feuille de personnage n’est plus une photographie unique de son caractère mais un film de son évolution. Parce que le caractère et les pensées du personnage ont été dépeints tout au long de son histoire, le joueur pourra s’appuyer sur cette gamme plus large d’informations pour réagir face à un nouvel événement.

Enfin et surtout, un personnage romancé est vivant. Le lecteur le découvre en pleine action, le voit penser, agir, bouger devant lui. Il n’y a rien à extrapoler. Son roleplay est défini par l’exemple. Son caractère est limpide dans la justification narrative de ses actions à chaque instant de sa vie. Le lecteur le découvre d’une façon agréable, passionnante comme peut l’être un bon livre, en vivant à travers le texte le passé du bonhomme. Le background romanesque revient à proposer au joueur un personnage qu’il a pu déjà vivre par procuration à travers le récit, qu’il a pu déjà admirer en action comme s’il sortait tout droit d’un film ou d’un roman.

Du Je, tu, il ?

Le choix du style de narration est important. Le « tu » ou le « vous » utilisés souvent pour les perso « état civil » ont le fâcheux inconvénients de s’adresser au lecteur. Ils réduisent le texte à une liste d’instructions fournis par l’organisateur, accroissant clairement cette neutralité et froideur du background. La seconde personne est donc à proscrire si on recherche du personnage accrocheur et vraiment prenant à lire.

Le « il » est très intéressant. Il prend un peu de distance avec le personnage, permettant de le juger de l’extérieur comme lui ne le ferait pas. Cela permet également des copier-coller plus faciles pour une même scène d’un personnage à un autre. Mais attention, la troisième personne ne signifie pas pour autant qu’une narration est neutre, elle a généralement un angle de vue, celui d’un narrateur invisible qui suit ce personnage. Les copier-coller sont alors très dangereux s’ils changent d’angle à chaque instant, un peu comme une camera folle au cinéma qui se déplacerait en tout sens sans respecter le champ/contre-champ.

Le « je » est sans le doute le plus intéressant, parce qu’il permet au personnage de se raconter lui même, de se justifier, en une longue introspection, en un long monologue. Mais surtout parce qu’en le faisant parler directement, le récit révèle le langage et le ton du perso. L’ensemble du background devient alors l’exemple parfait de ce que doit être son roleplay.

Du temps du récit

Le temps d’un récit est généralement le passé. Mais il convient de réfléchir à la spécificité du cas d’un personnage de GN. Un background est un récit particulier qui est borné dans le temps, s’arrêtant toujours à l’instant T0 du début du jeu. La fin du récit est systématiquement le commencement où se positionne le joueur, c’est à dire son présent. Il est alors possible de jongler avec les temps à l’intérieur du récit pour se situer dans l’histoire du personnage. Le passé sera utilisé pour l’histoire révolue et le présent servira à décrire la situation du personnage dans l’imminence du commencement du jeu. Des flashbacks permettront de structurer le récit sous la forme de va et vient dans sa vie. Le cheminement logiques de ses idées sert ici de transitions dans le récit, en lieu et place de la simple chronologie des faits.

Exemple d’une structure possible : Le personnage est accoudé au zinc d’un night club miteux. Il regarde la salle en sirotant un vieux scotch whisky censé noyer ses états d’âmes. Il parcourt la salle du regard et se lance dans un commentaire sur chacun des présents. De fil en aiguille, il reviendra sur son passé, sur sa rencontre avec certains d’entre eux, et sur les raisons qui l’ont amené ici. Puis, il finira par revenir sur son verre et son introspection du moment. Enfin, les lumières s’éteignent. La chanteuse monte sur scène. Et… le jeu commence.

Des objectifs

Les objectifs ne sont que les intentions initiales du personnage à l’instant T0 du début du jeu. Beaucoup de jeux relativement simplistes en font un « objectif à atteindre pour le joueur ». C’est finalement réduire considérablement le jeu. Le joueur n’a jamais qu’un unique objectif qui est celui d’agir dans l’intérêt de son personnage. Et celui-ci est vivant. Il a un passé, un présent et se projète à chaque instant dans un avenir. Ses intentions peuvent varier au fil du temps. Beaucoup de scénarios ont figé la notion d’objectifs parce que leurs personnages restaient eux même extrêmement figés tout au long du jeu. Le GN est bien plus riche que cela.

Un personnage qui pensait initialement aider un ami, va peut être changer d’avis quand il apprendra que celui-ci l’a trahi. Un personnage qui est venu négocier un objet avec un autre, va peut être revoir ses priorités quand il s’apercevra qu’ils ont été emmurés et qu’un compte à rebours à commencer pour leur survie. Les préoccupations d’un personnage sont susceptibles de fluctuer, voir de changer du tout au tout. Un scénario passionnant doit être reçu par le personnage comme un coup de poing dans la gueule. C’est quelque chose qui ne doit pas le laisser indifférent et qui fatalement va l’amener à réagir, à se poser des questions et souvent à faire évoluer ses positions. Figer les objectifs sous la forme d’une énumération synthétique est dangereux. Certains joueurs s’y accrochent, quand ce n’était que des intentions initiales, et oublient de donner la priorité à l’évolution psychologique de leur personnage.

Ces intentions initiales sont normalement totalement retranscrites dans le récit romancé. Elles en découlent logiquement. Comme les intentions au cours du jeu, découleront de la combinaison du background et des événements du jeu. D’une certaine façon, ne pas rédiger d’objectifs obligent le joueur à faire cette synthèse, exercice plus qu’indispensable puisque c’est celui qu’il devra faire à chaque instant tout au long du jeu.

Où l’on touche le fond

Je ne vais que très peu parler du fond du personnage, parce que cela déborde facilement sur un tout autre sujet : les intrigues et leur conception. Mais on peut remarquer quelques points.

Il ne suffit pas de construire quelque chose de crédible. Un personnage doit être intéressant à jouer. Par exemple, un personnage dépressif sera réellement déprimant. Un autre trop autiste sera pénible et frustrant. Construisez des personnages qui donneront envie aux joueurs de vivre le scénario à travers eux.

Évitez à tout prix le remplissage de la fiche de personnage par une narration inutile, ne couvrant aucune intrigue. Cela brise le rythme, noie le lecteur, et n’apporte absolument rien au jeu. Par exemple, l’enfance du personnage n’est intéressante à détailler que si cela a une réelle incidence sur une intrigue du jeu (interactions avec d’autres personnages). Je me souviens d’un perso de deux pages avec une enfance totalement détaillé qui se résumait en terme de jeu en une phrase : « Tu as une carte et tu cherches un trésor ». Je me souviens d’un vampire vivant une aventure au Mexique qui voyait relatée sur de longs paragraphes inutiles sa vie dans l’histoire détaillé de l’Europe de l’est du début du siècle. Généralement, les adeptes de ce genre de chose tentent, toujours vainement, par ce biais de cacher le vide cosmique des intrigues du personnage. Dites-vous que de toute façon le lecteur n’est pas dupe ; il voit ce qui ne représente pas vraiment d’intérêt pour le jeu et plus que cela, il ne le retiendra pas.

Puisque le personnage est décrit par le style romanesque, puisque seuls les aspects intéressants de sa vie pour le jeu seront traités, il est indispensable que les intrigues liées aux personnages suffisent à le décrire totalement, notamment au niveau de son portrait psychologique.

Au final, le background romancé forme un tout complexe et travaillé. Chaque ligne accroche le lecteur au récit, apporte une information pour les intrigues du jeu, tout en dessinant le portrait du personnage.