Le jeu ayant été cité à deux reprises, voici un résumé de comment s'est passée la création de personnage sur KAPO. Je pense que le procédé est intéressant.
Nous ne connaissions du setting du jeu avant d'aborder les 2 jours d'ateliers qui précédaient le GN que le contexte général : nous jouerions des prisonniers dans un Danemark ayant viré facho façon le Chili de Pinochet. Nous connaissions le thème du jeu : un jeu sur le processus de déshumanisation. Nous savions que l'arc du jeu était écrit à l'avance : nous serions cassés par le système, il n'y aurait aucune rebellion. Et c'est à peu près tout sur le contexte.
Quant aux persos, nada. On nous avait simplement demandé d'amener de vieux vêtements. Ils seraient mis en commun et on puiserait dedans pour constituer nos costumes (donc peu de chance que les vêtements qu'on amènerait nous serve personnellement au final).
Les 2 jours d'ateliers servaient de nombreux buts (créer de la confiance entre les joueurs, comprendre et adhérer à une vision commune du jeu, pratiquer certaines règles physiques, etc.) mais je ne m'occuperai ici que de la création de personnage.
Les orgas ont formé des petits groupes (entre 4 et 8 personnes) qu'ils avaient préparés et c'est à peu près là que s'arrête leur influence directe sur la génèse des persos. Ils ont par contre dirigé une série d'exercices qui nous ont permis de créer les persos.
Nous nous sommes d'abord accordé sur qui était notre groupe. Dans notre cas : un groupe de marginaux qui vivaient dans une maison abandonnée dans un bois en limite d'une agglomération.
Puis nous avons créé nos personnages par un processus d'addition : qualités, défauts, etc. (parfois en allant piocher des photos inspirantes collées sur un mur ou en piochant des mots répandus au sol). Nous avons aussi défini et décrit les relations qui nous unissaient.
Nous avons créé oralement des souvenirs communs : l'un commençait une histoire (le jour où j'ai volé un truc et les problèmes qu'on a eu, le jour où il y a eu un incendie dans la cuisine, le jour où on s'est engueulé, etc.), un autre la reprenait si sa direction ne lui plaisait pas et la poursuivait, ainsi de suite.
Nous avons aussi créé quelques liens avec des personnages d'un autre groupe.
Nous avons défini et joué comment nous nous saluions (avec tel personnage on se prend dans les bras, avec tel autre on se serre la main, etc.).
Nous nous sommes raconté comment nous avions été arrêté puis nous l'avons joué (d'autres joueurs faisaient les policiers). Idem pour quelques scènes rapides d'emprisonnement provisoire, d'interrogatoire ainsi que notre transport au centre de détention (le GN commençait vraiment quand on rentrait dans la prison).
Les orgas ont dirigé les exercices mais à part pour former le groupe initial et désigner l'autre groupe en jeu avec lequel nous avions quelques liens avant l'emprisonnement, ils ne sont pas intervenus dans la création proprement dite des personnages. En fait même ils ne connaissaient que très peu de choses sur les personnages en jeu : nous avons présenté notre groupe oralement une fois et de manière très succincte pendant l'atelier.
Cette création de personnage a pour moi été une révélation. Bien sûr, ça ne veut pas dire qu'il faut procéder comme ça à chaque fois (d'ailleurs, je suis inscrit à un autre jeu "nordique" et j'ai reçu une feuille de perso tout ce qu'il y a de plus classique) mais cette manière de faire démontre que l'on a beaucoup plus de méthodes pour créer un personnage que ce que l'ont peut penser et que certaines vérités ne sont pas si vraies (on peut faire un GN sans que les orgas connaissent les personnages, un back peut être oral).
Pour KAPO, cette création est appropriée parce que ce n'était pas un jeu à intrigue. Il n'y avait dans la prison aucun mystère à résoudre. Et si intrigue ou quête il y avait, elles ne prenaient pas leurs sources dans des indices cachés dans le passé des personnages (une "intrigue" pour moi a été de voler un crayon et écrire un message à la fille que j'aimais et dont j'étais séparé : ça m'a occupé 3 heures). Tout ce qui arrivait procédait de notre incarcération et des relations interpersonnelles donc les orgas n'avaient aucun besoin d'intervenir dans nos backs (par contre les exercices étaient faits de manière à créer des relations nombreuses entre les persos, l'un des objectifs du jeu étant de voir comment ces relations seraient brisés ou altérées par l'incarcération).
KAPO n'était pas un jeu avec découverte progressive du scénario, cependant je pense qu'avec quelques adaptations cette méthode de création pourrait convenir aussi à ce type de jeu. La seule limite c'est qu'on s'interdit de placer des éléments d'intrigues dans le passé des personnages. C'est donc adapté à des scénarios où les personnages réagissent uniquement à des éléments situés dans leur présent (cas typique des personnes ordinaires placées dans des situations extraordinaires). Ou a des scénarios très robustes (des scénarios qui ne s'écroulent pas si un joueur s'est donné la motivation inattendue de tuer un autre par exemple). Bien sûr à partir de ce modèle on peut hybrider (intervention ponctuelle des orgas pour rajouter/corriger des éléments de background dans un personnage majoritairement créé par le joueur).
Pour revenir à la QM ("création des persos par les joueurs : avenir ou pas?") mon opinion est : pas nécessairement. Les ateliers pré-GN en revanche : oui. C'est un énorme gain sur le fait de n'avoir de son perso qu'un document écrit (et bien entendu, rien n'interdit de coupler back écrit pour l'histoire et atelier pour la préparation physique et mentale). Mais je sors du sujet là.
Et juste pour finir, je corrige une affirmation de Vincent. A mon sens, KAPO n'était pas un jeu simulationniste. Je m'explique.
L'environnement de KAPO n'était pas réaliste : le temps était une notion abstraite et la prison elle-même si elle était extrêmement bien détaillée et minutieusement décorée et fournie en accessoires ne ressemblait pas à une prison réelle (mais plutôt à un genre de bidonville esthétisé). On avait des périodes de travail mais là aussi le travail était symbolisé (les réparations consistaient bien à planter des clous et tailler des planches mais de manière complètement irréaliste et non fonctionnelle).
Il y avait sinon - et c'est peut-être ce que tu voulais dire - une forte composante immersive (au passage, si j'ai bien suivi la théorie GNS, quand on parle du grandeur-nature on rajoute un I - pour immersivité - voire carrément le I remplace le S; j'ai bon ?) mais le moteur premier du jeu c'était plutôt le narrativisme. On nous avait très clairement expliqué que si on était bloqué dans une situation qui ne nous plaisait plus, on pouvait changer complètement et de manière irréaliste l'orientation de notre personnage pour partir sur un storyline plus intéressant. Par ailleurs, on pouvait se concerter entre joueurs pour créer des scènes que l'on souhaitait voir survenir. Tout ça en respectant (et pour respecter) l'arc du jeu qui était imposé : nous avions un cycle (environ 8 heures) à compter de notre entrée dans le camps pour rentrer dans la routine cruelle de la prison (où basiquement les anciens/les forts commandent aux nouveaux et aux faibles; je simplifie) et l'issue du jeu était aussi écrite (et déterminait l'arc général de la partie) : on sortirait lors d'un interrogatoire final où nous craquerions et admettrions être de mauvais éléments de la société danoise. En résumé, le jeu était un mix de narrativisme (pour l'architecture générale et les petites corrections de trajectoire) et d'immersivité (pour le côté émotionnel - qui n'a pas trop marché pour moi d'ailleurs).
Voilà, j'espère avoir été utile à la discussion !

@LucieXpérience : j'ai une QM très merdique, tu es intéressée ?