QM133 : Le GN invisible

principalement autour des huis clos et autres petits GN, mais aussi pour le plaisir de flooder.
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Lila
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Re: QM133 : Le GN invisible

Message par Lila »

Muriel A a écrit :Mais pour le compte, ça heurte mes habitudes de jeu à la française, dans lequel le cadre et l'unité de temps et lieu séparent le jeu du monde réel. Alors sans doute le système a-t-il ses limites (je sais, le Cercle magique n'existe pas vraiment en fait), mais j'apprécie le fait qu'on se situe tout de même dans le cadre d'un accord tacite orga-joueur-joueurs entre eux, impliquant - entre autres - respect de règles, de la sécurité et de l'intégrité physique d'autrui et fairplay.
Bien sûr que le Cercle existe, c'est parce qu'il est magique que tu ne vois pas. :mrgreen:

Le cercle magique, Thomas, c'est (en gros) les éléments qui te permettent de savoir que tu es dans un jeu. Lieu, temps, personnages, règles entre autres pour le GN.

Je pense que les questions éthiques que tu poses, Mu, sont les mêmes que celle qui se posent pour le théâtre invisible : il s'agit de mentir aux gens, ou en tout cas de ne pas leur dire la vérité (que c'est un jeu, que c'est pour de faux).

Dans un jeu où on imite la réalité, comme The White Road, il y a le côté pour moi "tourisme de la misère", c'est à dire se sentir proche de la condition d'une personne pauvre, droguée, tout ça. Le faire en plus dans un cadre pervasif (dans la vraie vie quoi) rend les choses plus fortes, j'imagine, on se sent peut-être acteur d'une dénonciation sociale. Il y a quelque chose de théâtral là dedans, sans nul doute. et de politique.

EDIT : Politique est à différencier ici de militant. Le but du théâtre invisible est souvent militant (message politique, activisme), là je parle de posture engagée dans l'espace public, en étant conscient de la mise en scène. Pour moi c'est politique (merci à Leila qui m'a amenée à faire cette précision), même si le but est ludique ou immersif.

Après, il y a toujours la question de la légitimité, "à la fin du jeu, on pose le costume sur le clou et on retourne à notre vie confortable, alors que celui qu'on a imité/incarné/singé toute la journée lui ne peut pas". Mais je pense que c'est une question un peu nulle. Tout d'abord parce que se confronter à des expériences, quelles qu'elles soient, si c'est bien fait, est toujours enrichissant. Il peut y avoir un enjeu anthropologique pour moi là dedans : on essaie de toucher l'humain, les 99,1% qu'ont a tous en commun, en essayant de s'ouvrir au 0,9 qui restent.
Modifié en dernier par Lila le mer. 29 janv. 2014 13:27, modifié 4 fois.
Bross
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Re: QM133 : Le GN invisible

Message par Bross »

http://www.electro-gn.com/4678-pervasiv ... emagique-2" onclick="window.open(this.href);return false;

pas mieux. je ne dis pas ça parce que j'en suis l'auteur, mais à part des trucs de théâtre pas forcément applicables, je n'ai pas trouvé d'autres ressources.
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Muriel A
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Re: QM133 : Le GN invisible

Message par Muriel A »

Bross a écrit :http://www.electro-gn.com/4678-pervasiv ... emagique-2

pas mieux. je ne dis pas ça parce que j'en suis l'auteur, mais à part des trucs de théâtre pas forcément applicables, je n'ai pas trouvé d'autres ressources.
J'ai repris l'expression de l'article, sans vergogne, car je l'avais trouvé franchement intéressant et qu'il m'avait vraiment amené à me poser des questions. Ce que j'en avais déduit était l'idée suivante : oui sans doute, le pur EJ n'existe pas, on amène toujours une partie de soi dans le personnage, et on garde parfois quelque chose du personnage avec soi. C'est ce qui peut rendre certaines expériences de jeu franchement bouleversantes. Néanmoins, on reste quand même dans le cas d'une convention de jeu dans laquelle tous les participants sont traités à la même enseigne, et ont des normes de comportement à respecter entre eux.

J'aime bien l'expression "pas au-delà de 30 secondes", ce qui m'amène à mon point suivant
Lila a écrit :Après, il y a toujours la question de la légitimité, "à la fin du jeu, on pose le costume sur le clou et on retourne à notre vie confortable, alors que celui qu'on a imité/incarné/singé toute la journée lui ne peut pas". Mais je pense que c'est une question un peu nulle. Tout d'abord parce que se confronter à des expériences, quelles qu'elles soient, si c'est bien fait, est toujours enrichissant. Il peut y avoir un enjeu anthropologique pour moi là dedans : on essaie de toucher l'humain, les 99,1% qu'ont a tous en commun, en essayant de s'ouvrir au 0,9 qui restent.
C'est précisément là que je m'inscris en faux. Une fois encore, je comprends l'intérêt d'un point de vue purement intellectuel, mais ça me gêne sur le plan humain, parce que ça revient juste à singer une situation sur un temps très court, et à tromper les personnes avec qui l'on interagit sur sa nature et condition réelle. Alors sans doute toute interaction sociale est-elle biaisée par les codes langagiers et sociaux que l'on emploie, mais elle ne se base pas sur un postulat erroné de base. Dès l'instant où la personne "ignorante" engage des interactions avec le personnage qu'elle n'aurait pas avec la personne réelle, c'est pour moi de l'ordre de la manipulation.

Considérer que même de manière temporaire, l'expérience vécue a un sens, est précisément pour moi un non-sens, surtout si l'on touche à des sujets graves comme le déclassement ou l'addiction. Jouer ponctuellement un alcoolique, même en s'alcoolisant vraiment, est à 100 lieues de ce qu'est vraiment l'alcoolisme, une maladie, dont ceux qui parviennent à ne pas en mourir doivent se soigner à vie. Et sur certains sujets, qui ne peuvent s'appréhender de l'extérieur dans le traumatisme réel qu'ils représentent, oui, ça me paraît être de l'ordre du voyeurisme.

J'accorde une exception si la finalité est une production de type journalistique, s'il y a une volonté de faire passer l'expérience ponctuelle de ce vécu en ayant conscience de ses limites, afin d'informer ou de sensibiliser (comme ce qu'a fait Florence Aubenas par l'immersion dans le travail précaire). Mais à mon sens, tous les sujets ne s'y prêteraient pas non plus.

Une fois encore, je comprends l'intérêt dans l'absolu, mais d'une part je ne pense pas que ce sera jamais dans ma pratique, et d'autre part je persisterai à trouver important que questionner l'intérêt de ce genre de pratique
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Lila
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Re: QM133 : Le GN invisible

Message par Lila »

C'est justement ce que l'on fait ici, la questionner. ;)

A mon avis, ce que tu dis doit simplement être dit au briefing pour que l'expérience soit vécue comme elle se doit : un simulacre de réalité, qui a sa vérité propre, certes, mais qui ne peut être confondue avec une expérience sociologique ou anthropologique sérieuse. Ce qui n'exclue pas qu'elle touche à l'une de ces discipline, humblement, cela peut ouvrir des pistes de réflexion, comme un spectacle peut nous faire réfléchir alors que ceux qui jouent n'ont certainement jamais été alcooliques, immigrés ou déportés.

Par exemple, clairement pour moi Just a little lovin' n'a pas qu'un enjeu ludique. Explorer la condition de la communauté gay et de l'apparition du SIDA dans cette dernière dans les années 80, on peut supposer que tous les joueurs n'ont pas connu cette situation. Pourtant, la documentation, l'immersion, les méta-techniques permettent de l'appréhender sans jamais perdre de vue que "nous, on peut reposer le costume sur le clou". (quoique, sur ce jeu il y a souvent des gens touchés par cette histoire, que ce soit parce qu'ils étaient là, ou parce qu'ils sont informés, parce qu'ils se sentent proches des questions soulevées dans le jeu)

J'ai organisé et joué plusieurs fois un jeu qui s'appelle Huntsville. Il s'agit de la dernière heure d'un condamné à mort, avec sa famille et la famille de la victime. C'est un jeu que j'aime beaucoup. A la fin du jeu, on pose la question : "Est-ce que votre position sur la peine de mort a évolué ?" et, souvent, la réponse c'est "Non, ce jeu ne suffit pas pour changer d'opinion, mais j'ai l'impression d'avoir un rapport différent avec la question aujourd'hui."

Pour revenir aux non-joueurs :

Pour moi il y a toujours un peu de manipulation à partir du moment à partir du moment où il y a un enjeu, un challenge : l'objetif du jeu, du personnage nous amènent à agir, sur les autres personnages, mais aussi sur les joueurs. Mais le fait que l'autre soit au courant des règles, que la manipulation de ses règles soient acceptée, fait qu'on parle de "jeu".

Alors, clairement, on passe un level lorsqu'on manipule des gens qui ne savent pas qu'ils jouent : forcément, on est plus dans le jeu, comme le disait Leila tout à l'heure, en tout cas eux (les non joueurs) n'y sont pas.
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Re: QM133 : Le GN invisible

Message par Gilles »

Lila a écrit :A la fin du jeu, on pose la question : "Est-ce que votre position sur la peine de mort a évolué ?" et, souvent, la réponse c'est "Non, ce jeu ne suffit pas pour changer d'opinion, mais j'ai l'impression d'avoir un rapport différent avec la question aujourd'hui."
Certes, mais si tu avais posé la question comme ça:

"Sur une échelle de 1 à 10, quelle est votre position sur la question de la peine de mort? Cette position a-elle évoluée?" Tu aurais très probablement eu une autre réponse.

Sinon, la différence entre un jeu en connaissance de cause et une manipulation à l'insu des participants n'est pas seulement un "level": ce n'est pas une gradation sur une échelle, mais un changement de nature de la relation. Il n'y a pas simplement qu'une question de voyeurisme, mais aussi d'emprise car celui qui sait agit sur autrui sans que ce dernier n'y puisse grand chose.

Et de deux choses l'une: soit le manipulateur agit pour son propre plaisir, soit il agit pour le bien d'autrui/d'un idéal supérieur. Dans le premier cas, ça ressemble quand même fort à un pervers, dans le second cas, c'est un faiseur... un ami qui vous veut du bien, avec ou sans votre consentement.
Pourquoi faire simple quand on peut faire très, très compliqué?
In: Questions fondamentales de la psychologie à deux mains
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Thomas B.
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Re: QM133 : Le GN invisible

Message par Thomas B. »

Thomas B. a écrit :
(je sais, le Cercle magique n'existe pas vraiment en fait)
Tu peux développer? (je ne lis quasimment pas de théorie du jeu)
Merci pour les précisions, je savais ce qu'est le cercle magique, mais j'avais compris la phrase comme "le cercle magique est une notion qui est considérée comme obsolète par les chercheurs en GN" comme la théorie GNS est considérée comme dépassée par les chercheurs.

Pour moi le cercle magique existe bien, mais il n'est effectivement pas étanche :)

Et on ne peut en bénéficier que si on a conscience de son existence.
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Re: QM133 : Le GN invisible

Message par Lila »

Gilles a écrit :Certes, mais si tu avais posé la question comme ça:

"Sur une échelle de 1 à 10, quelle est votre position sur la question de la peine de mort? Cette position a-elle évoluée?" Tu aurais très probablement eu une autre réponse.

Sinon, la différence entre un jeu en connaissance de cause et une manipulation à l'insu des participants n'est pas seulement un "level": ce n'est pas une gradation sur une échelle, mais un changement de nature de la relation. Il n'y a pas simplement qu'une question de voyeurisme, mais aussi d'emprise car celui qui sait agit sur autrui sans que ce dernier n'y puisse grand chose.

Et de deux choses l'une: soit le manipulateur agit pour son propre plaisir, soit il agit pour le bien d'autrui/d'un idéal supérieur. Dans le premier cas, ça ressemble quand même fort à un pervers, dans le second cas, c'est un faiseur... un ami qui vous veut du bien, avec ou sans votre consentement.
Effectivement, ça pourrait être intéressant de poser la question comme ça à la fin d'Huntsville.

Je parlais plus de level en terme de morale, mais tu as eu raison de préciser.

Du coup, que dire des manipulations à l'intérieur d'un jeu, qu'elles soient révélations scénaristiques ou changement total du jeu, ou dépassement des limites du joueur ? Je suis assez séduite par le terme faiseur.

Quelque part, en créant un jeu, on espère faire vivre des choses aux joueurs. La question du consentement est évidemment centrale, mais il arrive que ce consentement ne soit pas totalement éclairé avant le jeu : surprises, secrets et dépassement de limites sont souvent utilisées. La communication sur un jeu en amont peut parfois carrément nous mentir (irruption du fantastique dans un monde censé être contemporain me semble l'exemple le plus évident). Donc, il y a manipulation. Les joueurs acceptent cette manipulation dans une certaine mesure, mais tu admettras que des limites peuvent être franchies à l'intérieur même du jeu, entre joueurs ou orga/joueur.

Mais on est d'accord, on est toujours dans le cadre du jeu. C'est à dire dans l'émotion feinte, dans une fiction, qui peut être brisée si on dit stop. Bien qu'il y ait des jeux qui poussent loin le bouchon, et qui justement joue sur "les limites du jeu", notamment Fat Man Down, et je suis sûre qu'il y en a d'autres. On croit jouer à un jeu, et on va nous dire qu'en fait c'était pas un jeu, et que ça révèle un truc sur notre nature profonde, et on va se prendre ça dans la gueule.

Il arrive qu'on sorte du jeu, soit de notre propre chef, mais aussi sans l'avoir prévu (bleed ou traumatisme, selon ce à quoi on est confronté), bref, l'éternelle question des limites entre faire vivre une émotion "cathartique" (je préfère le terme jubilatoire), ou traumatiser quelqu'un. Le moment où le joueur devient ce passant dans la rue qui n'a rien demandé. Et pour le coup, vu ce qu'on se permet sur un joueur, lorsque la limite est franchie, c'est surement plus traumatisant que ce qui peut être fait à un inconnu dans la rue.

La pervasivité pour moi est un lieu risqué. On ne peut pas s'y permettre les mêmes choses que dans un jeu où tout le monde est consentant. Je suis plus dans une optique de transversalité des savoirs : je propose une expérience, et on en parle ensemble. Que la nature de l'expérience soit révélée avant ou après, je trouve ça plus intéressant de la révéler, pour s'enrichir du témoignage de l'autre, tout d'abord, mais aussi purement et simplement parce que je déteste mentir, ou cacher la vérité (ça c'est plus perso.)
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