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Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : jeu. 26 sept. 2013 14:30
par Bross
C'est intéressant ce que tu dis sur la virtuosité. L'admiration (du joueur en tant que joueur, sans confusion avec le personnage) c'est quelque chose que j'ai déjà souvent vécu, dont je me suis nourri, immédiatement ou plus tard, pour améliorer ma propre contribution au jeu. Je n'ai jamais eu la sensation d'être discriminé, même positivement. J'ai vécu ça à la fois comme un exemple de ce vers quoi on pouvait tendre, ainsi qu'un défi personnel pour y parvenir.

Je reviens sur la notion d'invitation : pour moi, constater la virtuosité d'un autre joueur, c'est la meilleure invitation possible à jouer plus et mieux, plus loin, plus fort. Par son engagement total, le joueur donne corps à l'illusion générale. Il se donne et m'invite à me donner, à me dépasser. La notion de confiance s'atténue un tout petit peu, par rapport à ce que tu disais, parce que le dépassement comporte une part de risque. Mais je n'oublie pas que tout ceci n'est qu'un jeu, d'une part. Et d'autre part, je me rassure toujours en me disant que puisque depuis le début du jeu j'ai fait preuve d'ouverture, d'écoute, de respect, il n'y a aucune raison pour que le jeu me sanctionne durement en cas d'échec. Il est bien pire de s'abstenir que d'échouer. Je peux comprendre qu'on aie envie de s'asseoir et de regarder un autre joueur excellent, vraiment. Dans mon cas je sais que c'est plutôt un moteur, un ressort très puissant. Ce qui me fait m'asseoir ce sont plutôt les ambiances irréelles, les moments de grâce, les beautés imprévues que le GN peut enfanter, comme ça, au détour d'une rue ou dans une taverne enfumée.

Corollaire : lors de jeux pour lesquels je constate la mollesse de ma disponibilité (ça arrive, hélas, on n'est pas au top à chaque fois), si je ne suis pas en phase avec le reste du jeu et des joueurs, j'évite la prise de risque. Pas tellement pour moi que pour les autres. Que je passe un jeu moyen parce que je suis dans un état moyen, c'est une chose. Que je bousille le jeu d'autrui parce que je réponds mal ou à côté à son invitation, non.

Enfin, sur l'immersion, nous parlons visiblement de la deuxième moitié de ce que tu évoques : l'ambiance, l'émulation. Un joueur discret, maladroit, muet, huître, ou même surjoueur ne me perturbe pas (disons, ne me perturbe plus. avec l'âge on apprend à gérer les brouillages) dans l'interprétation que je fais d'un personnage donné dans un univers donné. Par contre, il me casse le groove. Donc je déplace mon jeu là où je reprends mon pied, là où je suspens à nouveau mon incrédulité.

Par rapport à ce que j'écrivais plus haut, le jeu positif généré par d'autres ne me sort jamais de cette immersion là. Même si je suis conscient de parfois admirer un joueur plutôt que d'être enlevé par le jeu, quand je suis émerveillé, je suis par définition suspendu dans mon incrédulité et transporté vers un beau moment. Je peux oublier le perso, je peux oublier le contexte, cet émerveillement est mon émerveillement à moi, donc je peux oublier tout le reste. Paradoxalement, l'immersion la plus totale est quand on oublie jusqu'au jeu. Quand je redescends de cet émerveillement, je suis ultra-mobilisé pour revenir dans un jeu actif et conscient, parce que j'ai très envie du prochain shoot à l'émerveillement.

Enfin, quand je dis émerveillement, ça s'applique aussi à des jeux graves, tristes, voire dark. La grâce peut prendre tous les visages, toutes les couleurs.

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : jeu. 26 sept. 2013 14:59
par Lila
C'est beau ce que tu dis.

En fait ce genre de moments de grâce reconvoque l'instant du jeu, de la performance, plus que celui de la narration et de l'histoire. C'est pour ça que je les adore.

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : jeu. 26 sept. 2013 20:26
par Muriel A
C'est beau ce que vous dites <3

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : jeu. 26 sept. 2013 20:53
par Bross
Lila a écrit :En fait ce genre de moments de grâce reconvoque l'instant du jeu,
Oui <3
Lila a écrit :de la performance, plus que celui de la narration et de l'histoire.
Le terme de performance me gêne un peu, à cause de son acception arty. Mais je te rejoins, sur le fond. J'irais même jusqu'à qualifier ça de moment de vérité, paradoxalement. Au sens platonicien du terme, une convergence parfaite entre la fiction et le réel qui amène une situation où le Beau, le Vrai, l'Idée dans sa forme la plus pure, surgissent.
Lila a écrit :C'est pour ça que je les adore.
High five !

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : ven. 27 sept. 2013 08:47
par lucieXperience
Attention post vénère :mrgreen:
Bross a écrit : Le terme de performance me gêne un peu, à cause de son acception arty.
Dans ta tête.
La performance est un mot de la langue française qui a un sens juste, ne plus l'utiliser parce que dans les années 1960, des artistes en ont fait un "mouvement" (le mot est très mal choisi mais je ne trouve pas mieux, j'ai la tête dans le cul) ça me paraît un peu idiot.

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : ven. 27 sept. 2013 09:03
par Lila
L'alibi de la fiction et de la représentation n'ôte rien à la sincérité du joueur dans sa démarche. Je suis assez d'accord avec toi sur la notion de vérité, mais pas sur le pur beau tout ça, plus sur le côté reconvocation à l'ici et maintenant. Paradoxalement, je ne me sens jamais aussi présente au monde que lorsque je joue.

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : ven. 27 sept. 2013 10:07
par Bross
Lucie a écrit :Dans ta tête.
Ah ouais, t'es vénère :D - que le mot performance ait théoriquement un sens précis, bien sûr. Que ce sens soit quelque peu tordu par l'usage - même minoritaire - qu'en fait une population, c'est une réalité aussi. ça recoupe un peu un autre sujet de ce forum sur l'opposition entre le sens théorique d'un terme et l'usage "qu'on" en fait. Note que je ne me refuse pas à utiliser ce mot, juste que sa polysémie me gêne dans le présent débat.
Lila a écrit :L'alibi de la fiction et de la représentation n'ôte rien à la sincérité du joueur dans sa démarche
+1
Lila a écrit :Je suis assez d'accord avec toi sur la notion de vérité, mais pas sur le pur beau tout ça
L'émerveillement esthétique demeure pour moi assez récent dans le GN. Et les jeux qui l'ont suscité des exceptions. Mais ce n'est pas parce que c'est rare qu'il ne faut pas tendre vers ça, sans en faire une obsession non plus. Je m'interroge d'ailleurs depuis quelques temps sur le sujet suivant : dans les quelques jeux marquants de ces dernières années, j'en ai compris certains finement, et m'en suis émerveillé. Clairement, même si la charge émotionnelle était importante, c'est via mon cerveau que j'ai pris mon pied. J'ai en revanche subi d'autres jeux, non sans émerveillement. Au sens où ces jeux m'ont transporté au point de perdre durablement un certain recul, une capacité d'analyse immédiate du jeu pendant le jeu. Dans ces cas là, c'est le cœur, voire le corps, qui ont pris les commandes. Et ce n'était pas moins bien. Je ne dirais pas mieux, parce que pas du tout la même expérience, au final. Demeure la vérité de l'instant, dans chaque cas.
Lila a écrit :mais pas sur le pur beau tout ça, plus sur le côté reconvocation à l'ici et maintenant.
Je te rejoins pleinement. Ce qui suit est très orienté par ma formation philosophique, et je ne cherche pas à te convaincre, seulement à t'exposer quel ressenti je peux avoir. Je m'aligne complètement sur Caillois et l'idée du dépassement de soi par le jeu. Parce que le jeu définit un univers délimité, stylisé et contraignant, tout en incitant le joueur à exprimer une puissance créatrice, tout en considérant l'apport de l'autre, partenaire ou adversaire, dans l'expression de cette puissance. Je crois vraiment que le jeu peut permettre d'explorer, voire d'atteindre, une dimension supérieure de soi, sans tomber dans le piège d'une toute-puissance illusoire. Au contraire, l'exaltation est possible seulement par une forme d'altruisme, par l'écoute et la rencontre. L'affrontement comme la collaboration deviennent, dans la perspective de "bien jouer", des logiques synergiques. Et ce n'est qu'avec (ou contre) l'autre qu'on pourrait atteindre ce mieux, cette grâce. Grâce qui lorsqu'elle est présente s'impose sans définition préalable, sans consensus, sans convention. C'est en cela que je ne dissocie pas la notion d'instant de vérité de pur beau.
Lila a écrit :Paradoxalement, je ne me sens jamais aussi présente au monde que lorsque je joue.
Tout comme toi. Énième paradoxe quand on parle sérieusement de jeu et de jouer, c'est le monde - complexe, confus, bruyant, sans intention claire, sans propos, sans stylisation, aux règles méconnues et fluctuantes - qui incarne le divertissement dans son acception la plus nocive. Le monde est une diversion qui empêche l'être de se canaliser et d'exprimer sa puissance créatrice. Le jeu propose un univers temporaire, sanctuarisé, qui bannit ces diversions et restaure les pleines facultés du joueur dans un environnement qui l'invite à se mobiliser pleinement. Pour finir de répondre à Lucie, c'est ce sens de "performance" que j'aimerais valoriser sans aucune autre nuance parasite ;)

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : ven. 27 sept. 2013 10:19
par Bross
Et pour rassurer les nombreux lecteurs égarés, je ne crache pas sur une bonne baston, un camping, des bières, des monstres errants. C'est en fait très simple, le plaisir de jouer, faut pas se prendre la tête.

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : ven. 27 sept. 2013 10:41
par lucieXperience
Bross a écrit :Pour finir de répondre à Mu, c'est ce sens de "performance" que j'aimerais valoriser sans aucune autre nuance parasite ;)
je pense qu'il y a confusion sur la personne à qui tu t'adresses.

Re: QM102 : le GN, pour quoi faire ?

Posté : ven. 27 sept. 2013 10:49
par Bross
Oh oui :oops: message précédent édité.