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par stephane » mer. 22 avr. 2015 09:32
J'ai joué un aveugle sur un huis-clos classique de 4-5 heures. Je l'avais fait parce que je savais que le décor ne serait pas réaliste du tout et c'était mon moyen au départ d'avoir du 360°.
Ça a été une très bonne expérience. Intéressante. Je me suis aperçu par exemple que j'avais du mal à reconnaitre les gens par leur voix, il me fallait fréquemment demander à qui je parlais.
Un autre joueur, qui était d'un rang inférieur dans la hiérarchie de notre groupe, m'aidait à aller d'un lieu à un autre mais au milieu du jeu, je me suis retrouvé un peu seul (mon assistant ayant trépassé ). Par coup de bol - deux décès opportuns, pas de ma main - je me suis retrouvé à une table de négociation. Je me suis régalé. Être aveugle et intransigeant était très agréable à jouer en terme de roleplay (et une vraie force du point de vue de la négociation, déstabilisant pour mes adversaires). Tourner son regard aveugle vers une voix, etc. Mais le jeu aurait pu être pourri si j'étais resté dans un rôle subalterne, qui était normalement le mien.
Donc, ce peut être une piste pour ce genre de rôle. Compenser la contrainte physique par une fonction - ou tout autre élément fort - qui amène du jeu à vous si - physiquement - vous ne pouvez pas aller à lui.
Ça c'était pour le GN classique.
Dans le cadre du GN expérimental, j'ai plusieurs expériences de jeux avec des contraintes physiques fortes, qui s'appliquaient à tous les participants. Un jeu où nous étions complètement aveugle, un autre où nous étions muets et un dernier où nous étions muets et contraints dans nos mouvements.
C'était à chaque fois des jeux courts (2 heures maximum de jeu réel en moyenne en sus des ateliers) et à la limite de ce que beaucoup qualifieraient de GN (mais laissons ce débat là de côté).
Celui où nous étions aveugles - A Beginning - était surtout une expérience sensorielle. Il n'y avait pas d'histoire au sens classique ( problème => conflit => résolution), nous étions juste des créatures non définies qui naissaient à la vie, qui découvraient leur corps, leur environnement et leurs congénères.
Le plus élaboré pour l'histoire qu'il permettait de construire est The White Death. C'est le jeu où nous étions muets - où plutôt privé de langage articulé, mais des rires, des grognements étaient possibles - et contraints dans les mouvements. L'histoire est celle d'un groupe qui a voulu fonder une société idéale au sommet d'une montagne. Mais rien ne se passe comme prévu et la société se délite. Les personnages sont taillés à la mesure des moyens de communication dont nous disposons. Nous n'avons pas de nom, la société n'est pas décrite au-delà de ces prémisses, nous avons quelques relations primaires (je suis proche de cette personne, je cherche à dominer cette autre et cette dernière est mon ennemi). Il y a d'autres éléments que je ne décris pas ici. Mais ça fonctionne, la limitation impose de communiquer physiquement, visuellement, ou par les sons. Et de s'en tenir aux éléments les plus forts : la haine, l'amour, la crainte. Quant à la contrainte physique - qui est absurde, je devais par exemple me déplacer comme si un ruban élastique très puissant liait mes mains, et un autre mes pieds - elle fait écho à la situation générale (l'échec d'une libération) mais elle est aussi un apport pour le personnage (de manière inconsciente car elle change la manière de penser son corps, et de manière consciente car on peut s'en servir pour se demander ce que ça révèle du personnage qu'on interprète ).
Je kiffe ce style de jeu. Je les trouve libérateurs. Si vous trouvez le lâcher-prise, vous restez dans l'instant, vous construisez en permanence votre histoire et vous la pensez et la vivez en partie sur un niveau abstrait qui change vraiment du style réaliste habituel. En fait, pour moi, ces jeux sont parmi les plus immersifs que j'ai pu jouer. Et pourtant, pas de costume, pas de décor. Un autre chemin vers l'immersion peut-être. Paradoxal, non ?