QM173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

principalement autour des huis clos et autres petits GN, mais aussi pour le plaisir de flooder.
Fredou
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Fredou »

Le "blues de fin de GN", c'est du bleed out... Le pincement au cœur que tu as pour ta/ton/tes partenaire(s) de jeu, avec qui tu as vécu une belle histoire, c'est du bleed out... Le bleed out n'existe pas ? Diantre si (en positif, en négatif et dans un entre deux). Et c'est même souvent l'objectif que se donne un jeu (pour le positif).
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Magali
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Magali »

coming-out : J'ai lu des tas d'articles, d'avis, de sujets de forums, etc. et je ne suis toujours pas sûre de savoir de quoi on parle avec ce terme de "bleed", tant je lis des trucs incompatibles, du genre certains qui expliquent qu'il faut éviter le bleed à tout prix et d'autres qui expliquent que c'est un but. J'ai l'impression que tout le monde ne parle pas de la même chose. D'ailleurs c'est LE curseur qu'on n'avait pas réussi à fixer dans la table de mixage des Canotiers tant la définition intuitive qu'on en avait (assez proche de celle que donne Frédou du bleed-out juste au dessus, et donc assez proche de ce que nous recherchions en GN) était différente de la définition donnée dans le "tutoriel" de la table de mixage (du coup on avait supprimé ce curseur en se disant que si on n'arrivait pas à se mettre d'accord sur sa signification c'était idiot de s'en servir pour communiquer sur notre jeu…)
Modifié en dernier par Magali le jeu. 4 juin 2015 16:48, modifié 1 fois.
Fredou
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Fredou »

Je pense que c'est surtout parce qu'un bleed out peut être vécu de manière positive, négative ou dans un entre deux, pas toujours évident à trancher, selon les cas. Il y a du bleed out que l'on voudra à tout prix éviter, d'autres que l'on va accueillir avec enthousiasme.
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Lila
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Lila »

@Magali : J'aime rapprocher l'idée de bleed de celles de "pochoir" ou d'"empreinte" entre le joueur et le personnage.

Bleed-in, c'est le sens joueur -> perso
et Bleed-out, c'est le sens perso -> joueur

Nier l'existence du bleed-out revient (selon moi, hein, et j'ai pas de diplôme en psychologie cognitive, alors je suis disposée à écouter un spécialiste là-dessus et à changer d'avis) à nier l'idée d'empathie, c'est à dire le fait d'être touché par une expérience qui n'est pas la nôtre, qui même n'a rien à voir avec la nôtre.

J'ai tendance à penser qu'on s'enrichit des gens que l'on rencontre, qu'ils soient rééls ou non.
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hoog
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par hoog »

Magali :
La définition donnée dans le tuto de la table de mixage est maladroite et source de confusion (comme pas mal d'autres trucs dans cette table de mixage d'ailleurs). Je te renvoie plutôt aux deux liens que j'ai posté plus haut dans la discussion, qui sont très clairs.

En attendant, voici deux exemples très simples (plutôt négatifs pour le coup, mais on peut aisément en trouver des semblables en positif) :
Bleed in : Tu arrives au GN énervée et de mauvaise humeur. Du coup, tu joues ton personnage de manière beaucoup plus conflictuelle et violente que tu ne l'aurais fait dans d'autres circonstances.
Bleed out : Tu as joué un personnage dépressif tout le WE, qui s'est suicidé à la fin du GN. Tu rentres chez toi et tu te rends compte que tu te sens déprimée. Si tu avais joué à la console au lieu de faire du GN, ça ne serait pas le cas.
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Muriel A
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Muriel A »

Oh le beau sujet. Ce que j'en dirais:

- +1 avec Lucie et Fredou, la possibilité d'obtenir une réponse émotionnelle ne tient pas à mon sens nécessairement non plus à l'adéquation joueur/personnage. En revanche, attribuer à un joueur un personnage dans lequel il se sentira bien, ou qui l'impliquera, facilitera la possibilité de bleed.

- Cela tient à mon sens à la manière dont il peut y avoir une universalité des personnages, qui va porter l'émotion cathartique dès qu'ils sont bien faits (comme dans n'importe quelle oeuvre de fiction en fait). De nombreux articles mettent en valeur cet aspect, la manière dont les emprunts à la littérature et à la psychologie peuvent favoriser ces aspects (Hook, 2010 par l'exemple du monomythe, 2015 sur la fonctions symboliques, Nielsen, 2014 sur les emprunts à la psychologie Jungienne, Lynne Bowman sur la construction des identités, pour en citer une poignée au hasard)

- Aspects positifs du bleed:

Bleed-in: voir mon article sur Tant d'Espace. Le bleed-in aide à l'interprétation (on y trouve des moyens de rendre "crédible" le personnage)
Bleed-out: Montola ("the positive negative experience in roleplaying") montre de quelle manière la sortie d'expérience intense fait partie de l'expérience de GN. C'est lié à ce qu'Aaron Smuts appelle l'expérience artistique riche, là encore, que l'on retrouve dans les oeuvres de fiction.

Là dessus, les chercheurs en neuroscience ont montré la capacité du cerveau à emmagasiner de l'expériece, même dans des situations fictives. Le bleed-out positif, c'est aussi cette sensation de s'être dépassé, d'avoir exploré des choses, d'avoir échangé, d'avoir une meilleure connaissance de soi (entre autres), même s'il s'agit d'un processus . Illustration simple : tous ces gens qui, après une bonne expérience de jeu, se sentent revitalisés pour écrire leur propre jeu, voire décident de se lancer dans l'écriture eux-même. C'est pour moi une manifestation de l'émotion positive de sortie de jeu.

Enfin, je vais contredire Hoog: le bleed est essentiellement involontaire, mais:

- Il existe des moyens de le favoriser (voir références sur la construction du personnage) et certains jeux sont calibrés pour le favoriser au maximum. Certains techniques peuvent vraiment favoriser l'effet bleed (essentiellement par l'immersion)

- A l'inverse, il me paraît tout aussi évident que certains personnes seront donc imperméables au bleed, puisqu'on est vraiment dans des questions de perception et de ressenti.

- En revanche, il est possible de construire son bleed, c'est une part du processus de steering (guidage). Il peut être inconscient (je veux au fond de moi jouer une tragédie, je vais faire en sorte que mon perso aille mal quitte à ignorer les possibilités de s'en sortir), mais il peut être volontaire, dès lors que l'on a assez d'expérience et de connaissance de soi pour savoir sur quels jalons appuyer.

Mike Pohjola a écrit un très bon article là dessus dans le dernier kp-book ("steering for immersion") dans lequel je me suis totalement reconnue. Il explique comment, sur 5 jeux très différents, il a calibré son expérience de jeu pour arriver à trouver un moment de Catharsis où il était dans la complète immersion, émotionnelle comprise. C'est ce que j'ai fait, incidemment, sur le Agone, où j'ai trouvé dans le personnage des éléments me permettant de construire un arc narratif dans lequel je trouverais les émotions que j'aime avoir en jeu.
Modifié en dernier par Muriel A le ven. 5 juin 2015 10:53, modifié 2 fois.
Fredou
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Fredou »

Et pif paf, Muriel arrive et tout est dit. Pédagogue, c'est un métier. :)
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Cire de Sacub
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Cire de Sacub »

L'empathie est un processus lié à des mécanismes neuro-psychiques puissants et bien réel : les scientifiques ont fait de grands progrès dans la compréhension du phénomène en mettant en évidence les neurones miroirs. L'empathie ne semble pas concerner, selon moi, un mécanisme interne. L'empathie est la résultante de millions d'années d'évolution de notre espèce profondément sociale. Tu es en droit, Lila, de vouloir étendre ce concept à un être imaginaire mais sauf si cet être nous est extérieur (autre joueur, personnage d'un film...), je ne crois pas que l'on puisse réellement parler d'empathie. Les mécanismes sont autres et je ne crois pas que dans ces conditions les neurones miroirs sont activés.

La question reste donc entière à mes yeux : quels sont les mécanismes d'attachement à un être virtuel que l'on s'impose à soi même ? Quelles sont les interactions, les allers retours, entre cet être et nous même ?

La puissance de l'esprit est monstrueuse.
On sait aujourd'hui que les aires de l'écoute dans le cerveau s'activent lorsqu'un schizophrénique entend cette fameuse voix intérieure. Sauf que ce trouble psychotique a une emprise sur les neurones que ne peut avoir un joueur Gniste même si ce denier est ultra entrainé. Néanmoins, les mécanismes que ce dernier va mettre en œuvre peuvent l’amener à provoquer, dans une moindre mesure, des phénomènes de même nature.
On sait aussi qu’il suffit de penser à une chose pour que cette seule pensée influe sur des processus physiques dans notre corps : par exemple, penser que l’on travaille son biceps va, à terme, à force de répétitivité de l’exercice, augmenter la puissance réelle du muscle en question.

Ce que vous nommez « Bleed-in » est un mécanisme naturel et incontournable. Comme le dit Muriel, ce n’est pas une mauvaise chose en sois. Il faut prendre conscience de ce processus pour pouvoir le travailler. L’objectif de certains joueurs va être de le limiter au maximum. Mais tout au plus ils peuvent le polymorpher. Pour moi, le bleed-in est incontournable, il est un passage obligatoire. On ne peut créer d’empathie réelle avec un personnage fictif en nous même. On ne peut donc, selon moi, actionner les neurones miroirs dans un processus totalement intérieur sans impact perceptivement exogène (essentiellement visuel).

Le concept aristotélicien de catharsis dont tu (Muriel) fais référence, a été en effet étendu à toute forme d'abréaction émotionnelle (abréaction : terme de psychanalyse correspondant à une baisse de tension émotive). Mais contrairement à ce que tu avances (j’ai beaucoup de mal avec les références citées, Jung en tête qui était sérieusement allumé dans le genre et dont la littérature est plus proche de l’ésotérisme et du mystique que de la Science expérimentale et solide), la catharsis est un retraitement émotionnel, une transformation d’émotion qui sont déjà en nous. C’est en quelque sorte, baisser les tentions internes en valorisant des émotions massives, souvent toxiques et encombrantes. Rien ne se crée, rien ne se perd même à un niveau psychique et émotionnel ! Ainsi, malgré certains universalismes émotionnels dont tu fais référence, malgré la qualité et le réalisme dans l’écriture de certains rôles, la génération spontanée en matière émotionnelle n’existe pas. Le Bleed reste donc toujours bel et bien présent malgré la catharsis. Etant de nature immuable et omniprésent, voilà pourquoi j’ai tant de mal avec ce concept.

Pour ce qui est de ce que vous nommez Bleed-out c’est l’inverse, ce phénomène est pour moi un mirage émotionnel. Ceci est très lié à ce que je viens de développer : certes on ressort émotionnellement enrichi de tensions et d’émotions retraitées. Ces émotions peuvent paraître être nouvelles et avoir été imposées par l’avatar. D’où une certaine illusion d’être altéré par le passage d’un avatar en nous-mêmes. Néanmoins nous avons été « transportés » par le retraitement d’émotions précédemment intériorisées. Cette nouvelle configuration, ce polymorphisme, est une forme de création artistique. Or justement, le bleed-out n’est, selon moi, que l’effet secondaire lié à tout processus de création (plus ou moins artistique). Ce que j’éprouve à la fin de la création d’un morceau de musique ressemble beaucoup à ce que je vis après un GN : on a crée une chose, l’acte de création a pris fin , une forme de deuil doit donc se mettre en œuvre pour digérer la chose et passer à autre chose. Plus l’acte de création est fort, intense et entre en vibration avec une assemblée, plus ce processus de deuil est lourd et complexe.
De plus, contrairement à ce que dit Hoog, jouer un dépressif n’est pas plus déprimant à postériori qu’un autre rôle (j’aurais même la faiblesse de penser le contraire). Là où je te (Hoog) rejoint, c’est que les jeux vidéos vont beaucoup moins impacter et créer cette forme si étrange de deuil car l’acte créatif est plus limité (sans être inexistant).
Donc pour moi, le bleed-out est une illusion. Il est le fruit d’une fin d’acte créatif et n’est pas le résultat d’un effet secondaire émotionnel résiduel lié à l’incarnation d’un avatar.
Fredou
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Fredou »

Quelques exemples concrets de bleed-out négatifs :
- Un personnage t'a trahi/menti/trompé en jeu, tu en veux aux joueurs après le jeu.
- Tu as vécu une scène humiliante/blessante, tu demeures blessé après le jeu.
- Tu as vécu une situation qui rappelle une expérience difficile ("close to home"), après le jeu de vieilles blessures sont rouvertes.
- Tu as été amoureux d'un personnage, tu restes "amoureux" de la personne après le jeu. Celui-ci me semble toujours dans un entre deux. Cela peut être négatif ou positif, selon comment on le vit, comment on le gère.
...etc...
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Cire de Sacub
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Re: QM 173 : Le bleed, argument légitime pour coucher ?

Message par Cire de Sacub »

Selon moi, les exemples que tu cites ne sont pas à proprement parlé du bleed out. Ils sont la preuve pour moi d'un bleed-in qui peine à s'estomper et qui est en processus de deuil. Car au final, c'est la preuve que toi et ton avatar n'ont toujours fait qu'un ! Ce que tu as cru être venant d'un être imaginaire n'était en fait qu'une transformation d'émotions déjà présentes en toi.
Pour moi l'idée d'un avatar qui prend vie de manière autonome en toi même est une croyance, une démarche mystique. Ce n'est pas la résultante d'un phénomène psycho-neurologique explicable scientifiquement. Tu es en droit d'y croire. Je n'y vois que simulacres et mirages émotionnels. Même si, moi aussi, ne demande qu'à y croire ! Il est parfois important de garder la magie de ces expériences fortes...
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